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David remarqua bien des phares dans son rétroviseur, dès qu’il eut quitté la voie rapide, mais il était tellement perdu dans ses pensées qu’il n’y fît vraiment attention que lorsqu’ils le suivirent dans l’allée privée de Jennifer. Il se gara et regarda le véhicule qui s’était engagé derrière le sien, cherchant à voir qui était au volant. L’éclat des phares l’obligeait à s’abriter les yeux de la main. Puis la voiture s’arrêta, et il reconnut la Mercedes de Gault.
« Qu’est-ce que vous faites ici ? demanda-t-il à l’écrivain lorsque celui-ci descendit de voiture.
— Salut, Dave ! » répondit Gault d’un ton joyeux. Il tenait un pistolet à la main. « Sonnez donc à la porte au lieu de poser des questions idiotes. On dirait que votre petite amie vous attend.
— Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda David, effrayé par le contraste entre la nonchalance de l’homme et l’arme qu’il tenait.
— Le dénouement, mon vieux, le dénouement. À présent, faites ce que je vous ai dit. Sonnez ! »
Gault poussa David dans le vestibule dès que la porte s’ouvrit.
« Bonsoir, madame Stafford, dit-il en repoussant le battant derrière lui.
— Qu’est-ce qui se passe, David ? demanda Jennifer, qui regardait tour à tour le pistolet dans la main de Gault et son amant.
— J’ignore ce qu’il veut, Jenny », répondit David.
Il alla se placer près de la jeune femme et lui prit la main. Gault examina le vestibule et le séjour qui faisait suite.
« Je vais vous poser quelques questions, ma jolie, dit Gault à Jennifer. J’exige des réponses claires. Si je ne les obtiens pas, je vous fais sauter les rotules et croyez-moi, c’est la blessure la plus douloureuse qu’on puisse imaginer. Me suis-je bien fait comprendre ?
— Oui, répondit Jennifer d’une voix qui chevrotait.
— Y a-t-il quelqu’un d’autre dans la maison ?
— Non, répondit-elle hâtivement.
— Bien. Question numéro deux, à présent : attendez-vous la visite d’une autre personne que David, ce soir ?
— Non. »
Gault sourit.
« Voilà qui simplifie les choses, n’est-ce pas ? rien que notre petit ménage à trois [2] et personne pour nous déranger. Si on passait dans le séjour ? » ajouta-t-il avec un mouvement de son arme.
Il suivit David et Jennifer.
David savait qu’il lui fallait gagner du temps. Gault était cinglé et, s’il arrêtait de le faire parler, l’écrivain était capable de les abattre sur place.
« S’il s’agit encore de l’une de vos blagues, dit-il, essayant de parler d’un ton calme, vous feriez mieux de laisser tomber. Vous fichez une peur bleue à Jenny… et à moi, incidemment.
— Vous n’essaieriez pas de m’attendrir, par hasard, mon vieux ? Allez, avouez-le. Vous savez très bien qu’il ne s’agit pas d’une blague, hein ? »
David ne répondit pas et Gault secoua tristement la tête.
« Vous m’avez déçu, David. Vous avez détruit la foi que j’avais en la nature humaine.
— Que voulez-vous dire ?
— Vous avez rompu votre serment, trahi votre déontologie, n’est-ce pas ? le taquina Gault. Vous êtes allé porter le pet chez votre ex-femme, vous lui avez confié notre petit secret. »
David sentit son estomac se retourner.
« Comment ? Rien à répondre ? Pas de protestations ? »
La voix de David s’étrangla, tant sa gorge était sèche. Gault le regarda essayer de parler, amusé. Il paraissait disposer de tout son temps.
« Voulez-vous que je vous dise quelque chose, mon vieux ? Je ne suis pas furieux contre vous. Vous êtes toujours mon pote. Voyez-vous, je comptais bien que vous iriez voir la police. »
David ne savait plus où il en était.
« Vous pensiez que j’allais leur dire que vous aviez tué Darlene Hersch et Conklin ?
— J’en étais convaincu. Bon Dieu ! David, vous êtes un vrai débris. Ivre la moitié du temps, et ne valant même plus un pet de lapin en tant qu’avocat. Je savais que vous seriez incapable de supporter la pression que j’allais mettre sur vous.
— Je ne comprends pas. Si vous ne m’en aviez pas parlé, jamais personne n’aurait soupçonné que vous aviez tué l’un ou l’autre. Vous ne risquiez absolument rien.
— Je ne tiens pas à ne rien risquer du tout, mon vieux. Voyez-vous, je vous ai un peu menti, l’autre jour, lorsque je vous ai dit que tuer ne devenait jamais ennuyeux. Même ça finit par perdre de son charme, au bout d’un moment, si quelque chose ne vient pas le pimenter. Pensez combien il va être intéressant pour moi de baiser la police quand elle enquêtera sur votre assassinat et celui de Mrs Stafford. »
Les yeux de Jennifer s’agrandirent et elle étreignit la main de David.
« Eh oui, madame Stafford, je suis désolé, mais je n’ai pas le choix. Voyez-vous, les flics et le procureur général vont savoir que j’ai tué Julie parce que David a rapporté mes aveux à Ms Powers, n’est-ce pas ? »
Ni Jennifer ni David ne répondirent, et Gault enchaîna :
« Pour ces faits, néanmoins, ils ne peuvent rien faire parce que j’ai été acquitté et qu’on ne peut refaire mon procès. Un point pour le méchant.
« En revanche, ils savent à l’heure actuelle que j’ai tué Darlene Hersch et l’enquêteur, mais ils n’ont aucun moyen de le prouver. J’ai détruit toutes les preuves, y compris la perruque et le couteau, et qui irait croire Ortiz, s’il se mettait à proclamer que c’est moi qui ai tué Darlene Hersch après avoir été si affirmatif dans son identification de Stafford ?
« Reste les aveux que je vous ai faits. Sauf que vous serez morts. Pour les flics, il n’y aura plus qu’une seule affaire. Monica Powers saura que je vous ai tués à cause du mobile : les confidences que je vous ai faites, Dave. Je serai le suspect numéro un. Le seul problème est qu’ils ne pourront jamais parler au jury de ces aveux, c’est bien ça ?
— Mais pourquoi ? voulut savoir Jennifer.
— À vous de lui expliquer, cher maître, dit Gault avec un sourire satisfait.
— Gault peut faire objection à ce que Monica rapporte au jury les confidences qu’il m’a faites comme client, dit David.
— Et n’oubliez pas les rumeurs, mon vieux. Un témoin ne peut parler au jury de choses qu’on lui a rapportées à l’extérieur du tribunal. N’est-ce pas ? Moi aussi, j’ai fait quelques incursions dans les manuels juridiques. Dites, vous ne croyez pas que je devrais faire des études de droit ? Lorsque vous ne serez plus là, il faudra bien quelqu’un pour reprendre le flambeau de la défense des criminels, dans cette ville.
— Vous vous croyez peut-être malin, lui lança Jennifer, mais vous finirez par faire un faux pas. Ils vous auront. » Gault haussa les épaules.
« C’est possible. Bon Dieu ! je ne suis pas parfait. Mais que vaut un jeu s’il n’y a pas quelques risques ? Et si vous la fermiez un peu, tous les deux, que je puisse décider tranquillement de la façon dont vous allez mourir ? »
*
Ortiz se douta de la destination de David lorsque ce dernier quitta la voie rapide. S’il roulait trop près des deux autres véhicules, sur cette route secondaire déserte, Gault risquait de le repérer. S’il se trompait, et si Nash n’allait pas chez les Stafford, il était sûr de les perdre tous les deux. Il décida de courir le risque et les laissa prendre de l’avance.
Son pari lui réussit. Ortiz se gara à une certaine distance de chez les Stafford et passa dans la propriété grâce à un espace entre les buissons de la haie. Il s’accroupit. D’où il se tenait, dans l’obscurité, il vit David Nash et Thomas Gault parler devant la voiture de ce dernier qui lui tournait le dos. Le policier ne remarqua le pistolet que lorsque Gault se déplaça pour aller se coller contre le mur, à gauche de la porte d’entrée.
Le battant s’ouvrit et Gault poussa brutalement David à l’intérieur. La porte se referma. Ortiz compta jusqu’à dix ; puis, passant par les endroits les plus sombres, il courut prendre position à droite de l’entrée. Il savait, depuis le jour où ils avaient fouillé la maison, que la salle de séjour était à gauche du vestibule. La pièce était éclairée, mais les rideaux, tirés, l’empêchaient de voir. La pièce de droite – la salle à manger – était plongée dans l’obscurité.
Ortiz se rappela à ce moment-là que la salle de séjour comprenait une fenêtre latérale. Il y courut en silence et regarda dans la pièce. Gault poussait Jennifer Stafford et Nash vers lui. Il plongea et s’écarta vivement de la fenêtre. Gault braquait toujours son arme. Ortiz devait le désarmer sans risquer la vie des deux prisonniers. Il était hors de question de passer par la porte d’entrée. Elle était probablement verrouillée, mais même dans le cas contraire, le mouvement de la porte serait visible depuis la salle de séjour. Le policier n’aurait aucun moyen de savoir où se tiendrait Gault quand il ferait mouvement.
Par quel autre moyen pouvait-on entrer dans la maison ? Ortiz courut à l’arrière, mais la porte était fermée à clef, et il ne vit aucune autre ouverture susceptible de lui livra passage. Il leva la tête. Le balcon sur lequel donnait la chambre de Larry Stafford était au-dessus de lui. Le policier se souvenait d’avoir remarqué, lors de la fouille de la pièce, une porte-fenêtre coulissante.
Il chercha des yeux quelque chose sur quoi il pût monter ou s’élancer. Il y avait une poubelle à côté de la cuisine. Il enleva le couvercle en silence et le posa sur l’herbe. La poubelle était à moitié pleine. Il la transporta jusque sous le balcon et la renversa lentement. Une bouteille vide cogna bruyamment contre la paroi d’aluminium et Ortiz retint un juron ; il se pétrifia, le dos collé au mur. Au bout de quelques instants, il revint à la poubelle et grimpa dessus. Le sol était mou et son escabeau improvisé oscillait sous lui. Un instant, il crut bien qu’il allait tomber, mais il réussit à retrouver son équilibre. La difficulté consistait à présent à s’agripper au bas du balcon et à se hisser sans renverser la poubelle. Il glissa son arme dans la ceinture de son pantalon et tendit lentement les mains. Il parvint à saisir le bas de la balustrade de métal qui ceinturait le balcon et se souleva à force de tractions, comme lors des leçons de gymnastique de son enfance. La poubelle ne bougea pas, mais cela faisait un moment qu’il ne s’était pas livré à ce genre d’exercice. Ses bras se mirent à trembler, ses poignets lui faisaient mal. Il serra les dents, se hissa encore un peu, suffisamment pour pouvoir lancer son pied gauche par-dessus le rebord. La suite fut un jeu d’enfant, et il ne tarda pas à se retrouver devant la chambre plongée dans l’obscurité.
Il fit un essai ; la porte-fenêtre n’était pas verrouillée. Il la fit glisser et gagna rapidement la porte qui donnait sur le palier. Il s’accroupit à gauche du battant et l’ouvrit délicatement. Il n’y avait personne de l’autre côté, et il entendit un bruit de voix étouffé en provenance du rez-de-chaussée.
Une moquette recouvrait le palier et l’escalier et il entama sa descente sans faire le moindre bruit. On ne pouvait voir le haut de l’escalier depuis la salle de séjour, mais la partie inférieure, en revanche, était au niveau de l’entrée donnant sur cette pièce. Une partie du séjour fut bientôt visible pour lui, mais les voix provenaient de celle qui ne l’était pas. Une femme suppliait, un homme parlait d’une voix basse, contenue. Il devait sans doute s’agir, pour la première, de Jennifer Stafford, et Ortiz pria pour qu’elle retînt suffisamment l’attention de Gault – le temps qu’il puisse faire mouvement.
Le policier descendit encore quelques marches. Dès qu’il apercevrait ne serait-ce qu’une partie d’une personne, il sauterait par-dessus la rampe en espérant pouvoir cueillir Gault avant que celui-ci n’ait le temps de lui balancer une bastos.
Encore une marche. Il voyait maintenant le tiers de la salle de séjour et une partie du mobilier : un grand canapé, une table basse, et la fenêtre de la façade. Les rideaux étant tirés, il n’y avait aucun reflet qui aurait pu lui indiquer la position respective des personnes dans la pièce.
Une dernière marche. Il distinguait à présent une partie de la cheminée et la moitié d’une peinture moderne. Il y eut un mouvement, et un dos d’homme vint masquer partiellement la cheminée. Ortiz bondit par-dessus la rampe et atterrit en position de tir, pistolet braqué. Nash portait un veston et une chemise blanche. Il visait un pull-over noir.
David avait aperçu Ortiz juste avant. Lui et Jennifer se tenaient derrière un deuxième canapé, orienté vers le devant de la pièce. Ortiz cria : « Personne ne bouge ! »
Gault tourna un instant la tête et David en profita pour se jeter au sol, entraînant Jennifer avec lui derrière le canapé. Gault se rendit compte qu’il venait de perdre ses otages. Il restait pétrifié, en apparence, mais il était intérieurement détendu, prêt à agir. Ortiz s’avança lentement, courbé en position de tir, l’arme tendue devant lui.
« Levez les mains très lentement et laissez tomber votre pétard », ordonna Ortiz.
L’écrivain savait qu’il ne lui restait plus qu’une seule chance. Grâce au reflet, dans la fenêtre latérale, il voyait Ortiz se déplacer. S’il tentait de se retourner et de tirer, il était mort. Il attendit que le policier avançât encore d’un pas et leva alors les mains, tenant toujours son arme.
« Laissez-le tomber, Gault », ordonna de nouveau Ortiz, ne quittant pas des yeux le pistolet qui s’élevait.
C’était là-dessus que comptait Gault. Il leva très haut le genou gauche et expédia son talon dans le plexus solaire du policier. Celui-ci eut l’impression d’avoir été frappé par un marteau-pilon et que ses poumons se vidaient de tout leur air. Il tomba.
Gault reprit son équilibre, pivota et fit feu, le tout en un seul mouvement Ortiz était assis lorsque la balle lui pénétra dans le crâne, mais son doigt avait pressé la détente de son arme juste avant. L’épaule droite de Gault explosa ; son bras partit dans un mouvement désordonné et l’automatique alla atterrir derrière le canapé pendant que l’écrivain s’effondrait à son tour.
David vit l’arc décrit par le pistolet. Il était trop frappé de stupeur pour bouger. Tout blessé qu’il était, Gault n’en fit pas moins appel à toutes ses ressources. Il était conditionné pour affronter des situations de ce genre. Il savait qu’il lui fallait récupérer l’arme. Il n’arrivait cependant pas à bouger. Lorsqu’il voulut se hisser sur un coude, son corps refusa de lui obéir ; il retomba de côté, sa main gauche agrippant le sofa à la recherche d’un appui.
David regarda Jennifer. Elle hurlait. Elle voyait la main de Gault qui étreignait le tapis. Il essayait de se traîner jusqu’à l’automatique. David se précipita à quatre pattes par-dessus Jennifer. Il sentit une main se refermer sur sa cheville et il plongea en direction de l’arme ; ses doigts se refermèrent dessus à l’instant où une douleur flamboyante lui montait dans la jambe – une prise de karaté que venait de lui porter Gault. L’avocat inspira violemment et roula sur le dos. Gault avait réussi à se hisser sur son bras valide, un genou au sol. Il avait tout le côté droit couvert de sang. Il regardait David, mais son visage était dépourvu d’expression. David souffrait atrocement. Il braqua son arme.
« Reculez », dit-il, mais d’un ton sans assurance.
Gault s’élança lourdement vers lui, et David balança le pistolet de toutes ses forces. Le canon vint frapper Gault à l’œil et l’écrivain s’effondra sur son épaule blessée avant de rouler sur le dos. David resta où il était, tremblant de tout son corps.
*
Ce fut pour David un brouillard presque complet pendant les cinq minutes suivantes. Il réussit à regagner le canapé. Il se souvenait seulement de Jennifer accrochée à lui et secouée de tremblements aussi forts que les siens. Aussi d’avoir songé à quel point le mobilier de la pièce paraissait miraculeusement intact : pensée ridicule, étant donné les circonstances. Il se rappelait également avoir lutté contre l’envie de vomir qui le tenaillait, au fur et à mesure que se reconstituaient dans sa tête les événements des minutes précédentes. Gault poussa un gémissement et Jennifer sursauta, heurtant David de la tête. Les yeux de l’écrivain s’ouvrirent. Ni David ni Jennifer ne bougèrent. Et soudain, Gault sourit.
« On dirait que c’est vous qui m’avez eu, mon vieux, dit-il, grimaçant de douleur. Fichtre, ça fait bougrement mal. Vous n’appelez pas une ambulance ?
— Pourquoi, je devrais ?
— Vous n’allez tout de même pas laisser un de vos clients saigner à mort sur le tapis de votre petite amie, hein ?
— Vous vous apprêtiez à nous tuer.
— Bien sûr. Mais moi, je suis cinglé, pas comme vous, un homme de loi.
— Vous n’êtes pas cinglé, Gault, vous vous ennuyez, c’est tout. Vous vous en souvenez ? C’est vous qui l’avez affirmé.
— Et merde, Dave, vous n’allez tout de même pas croire tout ce que raconte un cinglé. Et je le suis vraiment. Ne vous y trompez pas. Mon nouvel avocat le prouvera sans qu’on puisse faire état d’un doute raisonnable. » Il grimaça un sourire. « À moins, bien entendu, que vous ne vouliez plaider l’affaire. Dites, vous parlez d’un coup de théâtre ! On ferait sans aucun doute les manchettes avec un coup pareil. Un avocat défend l’homme qui a tenté de l’assassiner ! »
L’écrivain commença à rire, mais la douleur lui arracha une nouvelle grimace, et son rire se transforma en toux. Jennifer se leva et prit la direction du téléphone.
« Où vas-tu ? lui demanda David.
— Appeler la police.
— Je pense qu’il vaut mieux attendre encore un peu », observa doucement David.
Il était assis au bord du canapé, ne quittant pas Gault des yeux.
« Mais…
— Il a raison. Il va engager les meilleurs avocats et un bataillon de psychiatres, et le jury le déclarera non coupable pour cause de folie. Il passera quelques années dans la section fermée d’un hôpital psychiatrique et bénéficiera d’une étonnante guérison. N’est-ce pas, Tom ? »
Gault se contenta de sourire.
« Et Larry restera en prison, n’est-ce pas ? »
Le sourire de Gault s’élargit. David alla prendre l’arme qu’Ortiz avait laissé échapper et revint s’asseoir sur le canapé, face à Gault.
« Non, David, pas ça, dit Jennifer, comprenant tout d’un coup ce qu’à voulait faire.
— Ne t’en fais pas, mon cœur, lui lança Gault. Il n’a pas les couilles pour ça, ton Dave. Il n’a pas pu me tuer il y a deux minutes, il ne le pourra pas davantage maintenant. »
David braqua le pistolet.
« David, je t’en supplie ! s’écria Jenny. Il te provoque. Il t’oblige à faire comme lui. Pour que tu sois conforme à l’idée qu’il se fait des gens. »
David la regarda. Sa main tremblait. Il paraissait au désespoir.
« C’est justement pour cette raison qu’il faut que je le tue. Je sais ce qui va m’arriver si je le fais, mais de toutes les façons, je suis perdant dans l’affaire. Gault est différent. Jamais je ne pourrai gagner contre lui, mais je peux, par contre, mettre un terme à sa carrière destructrice. Au moins, ne détruira-t-il plus personne comme il m’a détruit.
— Tiens, tiens, ricana Gault. Vous commencez à le sentir, Dave, n’est-ce pas ?
— À sentir quoi ? demanda David, pas très sûr de lui.
— Le pouvoir. Ce pouvoir divin. Vous vous rendez compte que j’avais raison, hein ?
— Non, je ne suis pas comme vous, protesta faiblement l’avocat.
— Mais vous allez le devenir dès que vous aurez appuyé sur la détente.
— Il a raison, intervint Jennifer d’une voix pressante. Je t’en supplie, ne le tue pas !
— N’avez-vous pas envie que je vous supplie, moi aussi, avant, mon vieux ? Vous pourriez y trouver une certaine satisfaction.
— Ne vois-tu pas comment il est, Jenny ? dit David d’un ton de mépris total pour la chose qui rampait sur le sol.
— David est mon berger, chantonna Gault, je ne manquerai de rien…
— La ferme !
— Quand je marche dans la vallée de l’ombre de la mort…
— La ferme ! répéta David, pointant son arme.
— … je ne crains aucun mal… »
David regarda en direction de Jennifer. Elle écarquillait les yeux, fixant Gault avec une expression de totale répulsion, comme si elle le voyait réellement pour la première fois.
« … car David est avec moi. »
L’automatique explosa. Il n’y eut pas la moindre trace de remords ou de peur sur les traits de l’écrivain lorsqu’il vit le doigt de son avocat presser la détente. Seulement du mépris.
C’est ainsi que David sut qu’il avait fait ce qu’il fallait.